« Soyez
aussi passive que possible » : lorsque mon mari et moi avons pris la
douloureuse décision de divorcer, le comportement du rabbin du tribunal
religieux de Jérusalem a profané ma foi. Pour les femmes, en particulier, la
liberté de dissoudre un mariage est contrôlée par des fonctionnaires menaçants,
manipulateurs et méprisants
Photos Ohad
Zwigenberg et Andrey Popov/ Shutterstock, photoshoppées par Anastasia Shub
Il y a trois
mois, j’ai divorcé devant le tribunal rabbinique de Jérusalem et j’ai pu
constater par moi-même une dimension de la vie israélienne qui va à l’encontre
du judaïsme religieux auquel je souscris. Le divorce est douloureux et privé,
et je préférerais de loin ne pas rendre publique une affaire aussi intime. Mais
à la lumière de l’attaque du gouvernement contre les droits des femmes, en
particulier dans sa décision d’étendre les pouvoirs des tribunaux rabbiniques
au calcul des pensions alimentaires, et de la tentative, inscrite dans le
récent budget, de supprimer entièrement le mécanisme de surveillance externe
par lequel les citoyens peuvent déposer des plaintes, je ne peux pas rester
silencieuse, en particulier en tant que femme pratiquante. L’union de la
religion et de l’État est une idée abstraite. Mais maintenant que j’ai vu à
quoi elle ressemble dans la pratique, je suis convaincue que chaque Israélien
doit savoir ce qu’il en est pour une femme dans ce pays d’accéder à un droit
fondamental du statut personnel.
Mon mari et moi nous étions mariés en 2002, dans
une vieille et majestueuse synagogue du Lower East Side de New York, avec un
professeur et rabbin bien-aimé, un talmudiste d’origine européenne dont l’érudition
était légendaire. Il nous a demandé de signer un contrat prénuptial, comme on le
conseille régulièrement aux couples juifs des USA, afin d’éviter qu’une femme
ne devienne une aguna (“femme enchaînée” en hébreu), c’est-à-dire une
épouse à qui son mari refuse un guet, un acte religieux de divorce.
Avant notre mariage, nous avions également demandé
un certificat de mariage civil, ce qui m’a semblé être un détail technique. Le
mariage juif était clairement le “vrai truc”, le moment où j’ai commencé à
porter une alliance et où j’ai senti que mon statut avait changé de manière monumentale.
Des années plus tard, après avoir déménagé en
Israël, nous avons pris la douloureuse décision de divorcer. Je savais qu’en
tant que juive pratiquante, quel que soit l’endroit où je vivais, je subirais
ce changement par le biais d’un événement rituel juif nécessitant un guet. Mais
en Israël, même si je l’avais voulu, je ne pouvais pas divorcer en dehors du
Grand-Rabbinat.
Il existe quelque chose qui ressemble à un divorce
civil. Nous sommes passés par là en mai, en arrivant au tribunal des affaires
familiales avec un accord que nous avions conclu avec un médiateur. Dans une
salle d’audience délabrée, avec un emblème en plastique représentant des
rameaux d’olivier et une menorah suspendus de travers au banc, une juge a lu
avec nous le document de dix pages pour s’assurer qu’il était fondamentalement
juste et que nous comprenions tous les deux tout ce que nous avions signé.
Pourtant, ce document juridique ne constituait pas
une preuve de divorce aux yeux de l’État. Nous étions toujours les bénéficiaires
légaux l’un de l’autre en cas de décès et les plus proches parents l’un de l’autre
en cas d’urgence. Tout organisme gouvernemental nous considérerait comme
mariés. Si nous voulions déclarer nos impôts séparément ou si je voulais
bénéficier de l’une des aides accordées aux chefs de famille monoparentale,
nous devions divorcer religieusement, par l’intermédiaire du rabbinat. Cela
vaut pour tous les Juifs, religieux ou laïques, et il en va de même pour les
membres des communautés non juives d’ici.
J’ai donc payé et pris rendez-vous pour que nous
présentions notre accord tamponné aux tribunaux rabbiniques. On nous a remis
une feuille qui précisait que si nous ne nous habillions pas modestement, nous
ne pourrions pas mener à bien la mission pour laquelle nous avions pris
rendez-vous. Deux amis m’ont dit de m’attendre au pire. Une amie religieuse,
avocate, m’a dit que le tribunal n’était pas tendre avec les femmes. Une amie
divorcée, également religieuse, l’a décrit comme
“très dur”.
On nous avait dit d’amener chacun·e un membre de
la famille ou un·e ami·e proche qui pourrait attester de notre identité. Une
amie très chère a immédiatement accepté de m’accompagner et, ensemble, nous
avons réfléchi à ce que pourrait être leur norme en matière de “tenue modeste”
: une jupe, certes, mais des manches longues étaient-elles nécessaires ? Les
pieds nus dans des sandales étaient-ils autorisés ? Mon amie, qui se couvre les
cheveux depuis 25 ans, se demandait si sa casquette de base-ball habituelle ne
poserait pas problème. Après tout, ils pourraient me refuser l’entrée.
Mon mari est arrivé avec son ami et un homme nous
a dit d’attendre notre tour dans le couloir. Cela ressemblait à n’importe quel
autre rendez-vous bureaucratique, sauf que plus tôt dans la matinée, j’avais passé
15 minutes à arracher mon anneau en or d’un doigt qui était moins mince qu’il
ne l’était 20 ans plus tôt.
Ils nous ont
fait entrer, mon mari et moi, dans une salle beaucoup plus grande et
confortable que celle du tribunal des affaires familiales. Mais cette fois-ci,
il n’y avait aucune femme d’autorité. Il n’y avait qu’un rabbin âgé à la barbe
grisonnante, assis devant un grand bureau. Sans nous regarder dans les yeux et
sans même se présenter, il a exigé de savoir si nous étions là pour divorcer.
Il nous a demandé si nous avions des enfants et, lorsque mon mari a répondu que
nous en avions trois, il nous a dit que nous faisions fausse route. « Vous
devriez continuer », a-t-il dit avec véhémence. « Continuez ensemble.
On ne comprend pas pourquoi vous voulez divorcer ». Il n’avait pas de
dossier sur notre situation particulière, mais seulement sa propre certitude
que le divorce était une erreur.
Un juge d’un tribunal rabbinique
montre un exemple de “guet”, acte religieux juif de divorce, à Jérusalem.
Il a demandé à mon mari son nom et où il
travaillait. Puis il a aboyé, toujours sans le regarder dans les yeux : « Vous
n’allez pas à la synagogue, mais si c’était le cas, comment vous appellerait-on
là-bas ? ». Mon mari a répété son nom, insistant sur le fait qu’il portait
le même nom à la synagogue que dans la rue. Il a ajouté qu’il allait
régulièrement à la synagogue. « Vous ne devriez pas divorcer », a
répété le rabbin.
Quel était le nom du rabbin ? Il n’en avait pas,
car il était, simplement et suprêmement, l’État et la halakha (la loi
religieuse juive). Ce n’est qu’après coup que j’ai fait des recherches en ligne
sur sa signature. Le site web du rabbinat contenait un psak din, un
jugement, dans lequel le rabbin avait déclaré au plaideur qui s’était opposé à
la procédure que dans les plus de 1 000 affaires qu’il jugeait chaque année,
aucun couple ne recevait un guet automatiquement et qu’il posait toujours
exactement la même série de questions pour confirmer leur intention. En d’autres
termes, ce n’était pas la première fois qu’il harcelait les personnes demandant
le divorce, une pratique qu’il justifiait par une nécessité halakhique. Plus
inquiétant encore, il a déclaré qu’il cherchait à éviter de causer à un couple
les cicatrices psychologiques qu’il aurait pu subir s’il n’avait pas pleinement
intériorisé l’importance de sa décision.
Pourtant, il ne parlait pas comme s’il était
quelqu’un qui s’inquiétait le moins du monde des séquelles psychologiques. « Vous
n’avez pas besoin de terminer ça aujourd’hui. Sortez, rentrez chez vous, faites
shalom bayis, la paix à la maison, et ensuite, si vous le voulez
toujours, vous pourrez revenir ». J’ai été stupéfaite, étant donné qu’en Israël,
il est pratiquement impossible pour deux personnes d’aller demander le divorce sur
un coup de tête. Nous avions suivi une médiation et payé pour un accord
juridique écrit ; nous étions allés au tribunal des affaires familiales et nous
nous étions assis devant un juge qui avait lu l’accord de dix pages avec nous.
Pourtant, on nous demandait maintenant de ne pas agir de manière irréfléchie.
En fait, après 20 ans de mariage, il nous avait
fallu beaucoup de courage pour décider de divorcer, et l’idée que nous n’avions
peut-être pas fait assez d’efforts ou que nous ne nous étions pas suffisamment
souciés de nos enfants nous insultait tous les deux. Il semblait que nous
étions nous-mêmes de mauvais enfants, que nous avions pris une mauvaise
décision et que ce rabbin avait le pouvoir de nous permettre ou non de faire la
chose gênante que nous voulions faire. J’ai commencé à douter de la possibilité
de sortir divorcée.
J’ai imaginé que le rabbin se sentait
halakhiquement obligé de confirmer que nous étions arrivés au divorce en
dernier recours, et je pouvais respecter cela. De la même manière qu’un rabbin
peut décourager un converti potentiel d’assumer le fardeau du judaïsme afin de
s’assurer de sa certitude, peut-être ce rabbin ressentait-il si profondément la
gravité de notre situation qu’il voulait lui aussi s’en assurer. Mais il ne l’a
pas dit. Il ne nous a pas regardés dans les yeux et n’a pas dit : « Je
suis désolé que vous soyez ici aujourd’hui». Il ne nous a pas demandé avec
inquiétude ce qui nous amenait là. Nous étions une nuisance, une parmi tant d’autres
qui attendaient dans le hall. Et nous n’étions pas de sa tribu (« Vous n’allez
pas à la synagogue », bien que nous y allions tous les deux).
Le rabbin était occupé à abuser de son pouvoir,
créant un scénario dans lequel, s’il n’aimait pas mes réponses, j’aurais pu
facilement devenir une aguna : une femme dont la vie est laissée en
suspens jusqu’à ce que son mari décide - s’il le fait un jour - de lui accorder
le divorce. Tout ce que je savais de la loi juive m’avait appris que les
tribunaux rabbiniques étaient là pour prévenir les cas d’agunot, et non
pour les créer. Le rabbin avait cruellement pressé mon mari, lui disant d’attendre
une semaine ou deux, avant de lui demander : « Êtes-vous ici de votre
plein gré, sans aucune contrainte ? »
Même dans l’anxiété du moment, mon esprit s’est
immédiatement tourné vers d’autres scénarios : et si j’avais été une femme
maltraitée qui avait finalement trouvé le courage de demander à son mari de la
libérer ? Et si j’avais eu un mari vengeur ou dominateur, qui cherchait n’importe
quelle excuse pour ne pas mener à bien le divorce ? Y avait-il une chance que
la décision du rabbin prenne en compte mes propres désirs ou besoins ? Si un
homme simple, bien intentionné et peu instruit s’asseyait devant ce rabbin,
comme beaucoup l’ont certainement fait, il pourrait être facilement convaincu
que la bonne chose à faire, d’un point de vue religieux, est de refuser le guet
à sa femme, ou au moins de le retarder.
Le rabbin ne m’a posé qu’une seule fois des
questions sur ma position. « Pourquoi veux-tu divorcer ? », m’a-t-il
dit d’un ton sec. « Je ne comprends pas. Qu’y a-t-il de si grave dans
cette situation ? » Étant donné ce que j’avais déjà observé, je ne pensais
pas lui devoir une réponse. Je me suis tournée vers le seul moyen dont dispose
une femme dans ces conditions : le silence.
Lorsqu’il a appelé nos témoins, il leur a demandé
de donner nos deuxièmes prénoms en hébreu et les noms hébraïques de nos pères.
Eux aussi étaient troublés par la question, par son ton et par le sentiment
évident qu’il pouvait nous refuser tout ce qu’il voulait. Finalement, comme ils
ne connaissaient pas les noms hébreux de nos pères, nous avons fourni l’attestation
nous-mêmes.
Mais alors que je commençais à penser que nous étions sauvés,
le rabbin s’est tourné vers mon mari et lui a dit, dans une dernière tentative
: « Tu sais, tu dois vouloir ce divorce de tout ton cœur. Si ce n’est pas
le cas, ce ne sera pas casher. Le veux-tu de tout ton cœur ? »
Des"Servantes écarlates"
manifestent devant le tribunal rabbinique de Tel-Aviv, en mai.
Lorsque deux bonnes personnes divorcent après plus
de 20 ans de mariage, qui peut dire qu’elles le veulent de tout leur cœur ? Je
savais avec une certitude totale que l’homme avec lequel j’étais assise ne
profiterait jamais de l’inégalité du système halakhique et ne capitulerait
jamais devant les manipulations de ce rabbin. Mais dans la fraction de seconde
de silence qui a suivi sa question impossible, le rabbin est revenu à la charge
pour lui dire explicitement qu’il pouvait me refuser le divorce. « Tu n’as
pas besoin de donner un guet ».
Quelques heures plus tard, je me tenais avec l’homme
qui allait devenir mon ancien mari devant trois hommes - des rabbins ? des
témoins salariés ? - qui tenaient mon destin entre leurs mains et qui m’ont dit
de tendre les mains et de me tenir « comme un arrêt sur image », « aussi
passive que possible ». Je savais que c’était aussi l’exigence halakhique,
de recevoir plutôt que d’accepter. Pourtant, la halakha, qui aurait pu être
expliquée, était secondaire. Pour ces hommes, il était naturel que la femme
dans la pièce renonce à toute sa subjectivité.
Ils m’ont dit de marcher en cercle avec le guet
sous le bras. « Sous l’aisselle », répétait l’un des hommes. Ayant
grandi dans un monde halakhique, je savais que les actions qui peuvent sembler
étranges et exagérées ont souvent une signification halakhique - dans ce cas, j’étais
en train “d’acquérir” le guet, qui devait devenir mien pour compléter la
cérémonie. Ce n’était pas le cas du couple qui est sorti immédiatement après
nous. La jeune femme portait un jean moulant et l’homme une kippa qui lui
tombait directement sur la tête. « Cérémonie ridicule », a-t-il
commenté avec dégoût, tandis que la femme essuyait ses larmes et se dirigeait
vers le couloir.
Je ne savais pas si elle pleurait à cause du
divorce ou de la nature dégradante de toute cette expérience. Je ne savais pas
si quelqu’un lui avait fait remarquer qu’elle portait des vêtements qui
auraient pu lui valoir d’être mise à la porte.
Depuis ce jour de mai dernier, Israël m’a semblé
différent. « J’avais l’impression d’être en Iran » [sic],
ai-je dit à ma meilleure amie, sans aucune exagération. Mon propre destin n’était
pas entre mes mains. Au lieu de cela, c’étaient trois hommes tout à fait
ordinaires et anonymes qui me donnaient des ordres à leur guise. « Sois
aussi passive que possible ». « Arrêt sur image » « Tu n’es
pas obligé de lui donner un guet ». Ces phrases me reviennent à des moments
étranges, tourbillonnant dans mon esprit alors que je fais la queue au
supermarché, que je renouvelle le passeport de mon fils ou que je prépare le
déjeuner.
Le terme “cérémonie ridicule” me revient aussi. C’est
ce à quoi ressemble la pratique juive lorsque ses autorités ne se donnent pas
la peine de l’expliquer, alors même qu’elles obligent les étrangers à la
respecter. L’occasion d’expliquer la tradition juive est perdue et dégradée.
La terrible ironie est que le rabbinat israélien n’a
aucune valeur religieuse, non seulement pour cet autre couple, mais aussi pour
moi, une juive pratiquante et engagée qui a fait venir sa famille des USA pour
vivre en Israël, notamment pour que mes enfants puissent apprendre et vivre la
Torah dans le cadre le plus vivant que je connaisse. Pourtant, le rabbinat
israélien profane ma foi. Il utilise son pouvoir pour menacer, contraindre et
réduire les femmes au silence.
Il faut dire que je ne me laisse pas facilement
intimider. J’ai la chance d’avoir reçu une excellente éducation, tant
religieuse que laïque. Je suis professeure et je sais parler en mon nom. Je
suis en bonne santé et économiquement indépendante. De plus, contrairement à de
nombreuses femmes qui demandent le divorce, je n’ai jamais été dans une
relation abusive. Mon ancien mari m’a incitée à écrire cet essai et déposera
lui-même une plainte contre le tribunal rabbinique. Les femmes qui disposent d’un
tel pouvoir sont les moins vulnérables dans de tels cas. Lorsque j’ai raconté
mon histoire à une avocate qui travaille sans relâche pour les agunot,
elle m’a dit : « Tu t’en es tirée à bon compte ». Je lui ai demandé
comment les tribunaux pouvaient continuer ainsi, pourquoi les femmes ne déposaient
pas constamment des plaintes. Elle m’a répondu : « Les femmes qui
réussissent à divorcer ne veulent pas regarder en arrière. Lorsqu’elles
franchissent la porte du rabbinat, elles ne veulent tout simplement pas se
souvenir du traumatisme, même si cela signifie qu’il n’y a pas de réparation
pour ce qu’elles ont subi et qu’il n’y a pas de changement ».
Plus tard, j’ai fait des recherches sur le divorce
juif en dehors d’Israël. Le site web du tribunal rabbinique du Conseil
rabbinique de Chicago, ma ville natale, indique explicitement que pendant la
procédure, aucune question indiscrète ne vous sera posée, que votre vie privée
sera respectée, que vous serez traitée avec compassion et respect et que le
tribunal comprend que parfois, malheureusement, le divorce est la fin
nécessaire d’un mariage juif. Une amie me raconte qu’à New York, le chef du
tribunal rabbinique lui a souhaité bonne chance après qu’elle a reçu son guet.
Il apparaît que dans une société civile où le
divorce religieux est facultatif, les rabbins doivent respecter une norme
élémentaire de respect, tant pour les femmes que pour les hommes. Cependant,
dans un État qui oblige ses citoyens à divorcer par l’intermédiaire de ses
tribunaux religieux, ces derniers n’ont pas besoin d’agir avec respect, car ils
ont autre chose : le pouvoir. Et le pouvoir sans entrave est le contraire de la
justice, de l’équité et de la démocratie.