Jonas Hassen Khemiri, né en 1978 à Stockholm d’un père tunisien originaire de Jendouba (mort en janvier 2025) et d’une mère suédoise, s’est affirmé comme un grand auteur suédois dès la parution de son premier roman en 2003 (Ett öga rött, inédit en français). Trois de ses livres et cinq de ses pièces de théâtre ont été traduits en français (voir ici et ici). Le texte ci-dessous a été publié en 2013, lorsque la chasse aux sans-papiers battait son plein en Suède. Il n’a rien perdu de son actualité, comme le montre le deuxième texte traduit ci-après. Une remarque : j'ai choisi le vouvoiement, d'usage en français. Dans l'original, l'auteur tutoie la ministre, comme il est d'usage en suédois moderne, le vouvoiement ayant disparu depuis une cinquantaine d'années.-Fausto Giudice, Tlaxcala
Cette lettre de Jonas Hassen Khemiri à Beatrice Ask a été l’article du quotidien Dagens Nyheter le plus partagé de tous les temps jusqu’à l’automne 2014 (180 000 partages sur Facebook). En raison de problèmes techniques, les statistiques de partage ont disparu de l’article.
Le 12 mars 2013, la ministre de la Justice suédoise Beatrice Ask [1] a répondu aux questions du Parlement sur le projet Reva [lire ci-dessous], très critiqué, qui vise à procéder à davantage d’expulsions de sans-papiers de Suède. Aujourd’hui, l’auteur Jonas Hassen Khemiri écrit sur la signification du racisme pour quelqu’un qui en a fait l’expérience toute sa vie : « Je vous écris pour vous faire part d’un souhait simple, Beatrice Ask. Je veux que nous échangions nos peaux et nos expériences. Allez, faisons-le ».
Beaucoup de choses nous séparent. Vous êtes née au milieu des années 50, moi à la fin des années 70. Vous êtes une femme, je suis un homme. Vous êtes une politicienne, je suis un écrivain. Mais il y a aussi des choses qui nous rapprochent. Nous avons tous deux étudié l’économie internationale (sans obtenir de diplôme). Nous avons à peu près la même coiffure (même si nous avons des couleurs de cheveux différentes). Et nous sommes tous deux des citoyens à part entière de ce pays, nés à l’intérieur de ses frontières, unis par la langue, le drapeau, l’histoire, l’infrastructure. Nous sommes tous deux égaux devant la loi.
C’est pourquoi j’ai été surpris lorsque P 1 Morgon [2] vous a demandé jeudi dernier 7 mars si, en tant que ministre de la justice, vous vous préoccupiez des personnes (citoyens, contribuables, électeurs) qui affirment avoir été arrêtées par la police et s’être vu demander de montrer leur passeport uniquement en raison de leur apparence (brune, non blonde, aux cheveux noirs). Et vous avez répondu : « La raison pour laquelle quelqu’un m’a demandé mon passeport peut être très personnelle. Il y a des personnes précédemment condamnées qui ont l’impression d’être toujours mises en cause, même si ça ne se voit pas que vous avez commis un délit (...) Afin d’évaluer si la police travaille conformément aux lois et aux règlements, vous devez avoir la perspective holistique ».
Le choix des mots est intéressant : « précédemment condamnées ». Car c’est exactement ce que nous sommes. Nous sommes tous coupables jusqu’à preuve du contraire. Quand une expérience personnelle devient-elle une structure raciste ? Quand devient-elle discrimination, oppression, violence ? Et comment une perspective « holistique » peut-elle exclure une grande partie des expériences personnelles des citoyens ? Quelles sont les expériences qui comptent ?
Je vous écris pour vous demander quelque chose de simple, Beatrice Ask. Je veux que nous échangions nos peaux et nos expériences. Allez, faisons-le, tout simplement. Après tout, vous n’avez jamais été étrangère aux idées un peu bizarres (je me souviens encore de votre suggestion controversée d’envoyer une enveloppe violette [3] à tous les acheteurs de sexe).
Pendant 24 heures, nous nous empruntons mutuellement nos corps. D’abord, j’entre dans votre corps pour me faire une idée de ce que c’est que de vivre en tant que femme dans un monde politique patriarcal. Ensuite, vous empruntez ma peau pour comprendre que lorsque vous sortez dans la rue, dans le métro, dans le centre commercial et que vous voyez les policiers plantés là, avec la Loi de leur côté, avec le droit de vous approcher et de vous demander de prouver votre innocence, cela vous rappelle des souvenirs. D’autres agressions, d’autres uniformes, d’autres regards. Et non, il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à l’Allemagne de la Seconde Guerre mondiale ou l’Afrique du Sud des années 1980. Il s’agit simplement de notre histoire locale suédoise, une série d’expériences aléatoires dont notre corps collectif se souvient soudain.
Avoir six ans et atterrir à Arlanda , dans notre patrie commune. Nous marchons vers la douane, avec un papa qui a les paumes moites, qui se racle la gorge, qui lisse ses cheveux et frotte ses chaussures contre les plis de ses genoux. Il vérifie à deux reprises que le passeport suédois est dans la bonne poche intérieure. Toutes les personnes de couleur rose sont laissées passer. Mais notre père est arrêté. Et nous pensons : c’est peut-être une coïncidence. Avoir dix ans et voir la même scène se répéter. Peut-être que c’était son accent. Avoir douze ans et voir la même scène. Peut-être que c’était son sac creux avec la fermeture éclair cassée. Avoir quatorze, seize, dix-huit ans.
Avoir sept ans, commencer l’école et être introduit dans la société par un papa qui était déjà terrifié à l’idée que son exclusion soit transmise à ses enfants. Il disait :
« Quand on a la tête que nous avons, il faut toujours être mille fois meilleur que les autres pour ne pas être rejeté. »
« Pourquoi ? »
« Parce que tout le monde est raciste. »
« Tu es raciste ? »
« Tout le monde sauf moi. »
Parce que c’est exactement comme ça que fonctionne le racisme. Il ne fait jamais partie de notre culpabilité, de notre histoire, de notre ADN. Il est toujours ailleurs, jamais ici, en moi, en nous.
Avoir huit ans et regarder des films d’action où des hommes basanés violent, éructent des jurons, battent leurs femmes, kidnappent leurs enfants, manipulent, mentent, braquent et abusent. Avoir seize, dix-neuf, vingt, trente-deux ans et voir les mêmes figurines de carton encore et encore.
Avoir neuf ans et décider de devenir le bûcheur de la classe, le meilleur lèche-cul du monde. Tout se passe comme prévu et ce n’est que lorsque nous avons un professeur remplaçant que quelqu’un suppose automatiquement que nous sommes le trublion de la classe.
Avoir dix ans et être poursuivi par des skinheads pour la première fois, mais pas la dernière. Ils repèrent notre corps commun sur le banc des alcoolos en bas de l’église d’Högalid, ils rugissent, nous courons, nous nous cachons dans l’embrasure d’une porte, le goût du sang dans la bouche, notre cœur commun battant la chamade tout le long du chemin du retour.
Avoir onze ans et lire des bandes dessinées où les Orientaux sont mystérieusement exotiques, aux magnifiques yeux bruns, sensuels (mais en même temps perfides).
Avoir douze ans et entrer dans la Mega Skivakademin pour écouter des CD et, à chaque fois, les vigiles se mettent à tourner autour de nous comme des requins, à parler dans des talkies-walkies, à nous harceler à quelques mètres de distance. Et nous essayons de la jouer normale, nous nous efforçons d’utiliser au max un langage corporel non criminel. Marchez normalement, Beatrice.
Respirez comme d’habitude. Approchez-vous du présentoir de CD et attrapez le disque de Tupac d’une manière qui montre que vous n’avez pas l’intention de le voler. Mais les vigiles veillent et quelque part, au fond d’ici, au fond de notre corps collectif, il doit y avoir un plaisir honteux à goûter cette texture qui a piégé nos pères, à obtenir une explication sur la raison pour laquelle nos pères n’ont jamais réussi ici, pourquoi leurs rêves sont morts dans une mer de lettres de candidature rejetées.
Avoir treize ans et commence à traîner au centre de loisirs et à entendre les histoires. Le grand frère du pote, qui s’est frité avec la police de Norrmalm et a été jeté dans un panier à salade avant d’être balancé le nez en sang à Nacka. Le cousin du pote, qui a été traîné et battu par les vigiles dans la petite pièce de la station de métro de Slussen (avec des annuaires téléphoniques sur les cuisses pour éviter les bleus).
N, le copain de papa, qui a été trouvé par une patrouille de police et enfermé dans une cellule de dégrisement parce qu’il bafouillait, et ce n’est que le lendemain que la police s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas, et aux urgences on a découvert l’hémorragie cérébrale, et à l’enterrement sa petite amie a dit : « Si seulement ils m’avaient appelée, j’aurais pu leur dire qu’il ne buvait pas d’alcool ».
Avoir treize ans et demi et vivre dans une ville assiégée par un homme armé d’un fusil et d’un viseur laser, une personne qui abat onze hommes aux cheveux noirs en sept mois sans que la police n’intervienne. Et notre cerveau collectif commence à penser que ce sont toujours les musulmans qui en pâtissent le plus, toujours ceux qui portent des noms arabes qui ont le moins de pouvoir (et oublie complètement les moments où d’autres structures régnaient - comme lorsque le gamin de l’école que tout le monde appelait « le Juif » était enchaîné à une grille avec un cadenas dans l’ourlet du jean, et que tout le monde riait lorsqu’il essayait de se libérer, il riait aussi, il essayait de rire, est-ce que nous, on riait ?).
Et pendant tout ce temps, une lutte intérieure. Une voix dit : ils n’ont pas le droit de nous condamner d’avance. Ils n’ont pas le droit de boucler la ville avec leurs uniformes. Ils n’ont pas le droit de nous mettre en danger dans nos propres quartiers.
Mais l’autre voix dit : « Et si c’était notre faute ? Nous avons probablement parlé trop fort. Nous portions des sweats à capuche et des baskets. Nous portions des jeans trop grands avec un nombre suspect de poches. Nous avons commis l’erreur d’avoir une couleur de cheveux propice à la criminalité. Nous aurions pu choisir moins de mélanine dans notre peau. Nous avions des noms de famille qui rappelaient à ce petit pays qu’il fait partie d’un monde plus vaste. Nous étions jeunes. Bien sûr, tout changerait en vieillissant.
Et notre corps collectif a grandi, Beatrice Ask. Nous avons cessé de traîner au centre de loisirs, nous avons remplacé le sweat à capuche par un manteau noir, la casquette par un foulard. Nous avons arrêté de jouer au basket-ball et commencé à étudier l’économie à l’École d’économie de Stockholm. Un jour, alors que nous étions devant la gare centrale de Stockholm, en train d’écrire une note dans un cahier d’étudiant (car même si nous étudiions l’économie, nous rêvions secrètement de devenir écrivains), quelqu’un est arrivé à notre droite, un homme large avec une oreillette : « Comment ça se passe ? » Il nous a demandé une pièce d’identité, puis nous a serré les bras dans une prise policière et nous a transportés jusqu’au panier à salade où nous devions apparemment attendre qu’il obtienne le feu vert disant que nous étions bien ceux que nous prétendions être.
Apparemment, nous correspondions à un signalement. Apparemment, nous ressemblions à quelqu’un d’autre. Pendant vingt minutes, nous sommes restés assis dans la voiture de police. Seuls. Mais pas vraiment seuls. Car des centaines de personnes passaient par là. Et ils nous regardaient d’un air qui murmurait : « Voilà. Un de plus. Encore un qui se comporte en pleine conformité avec nos préjugés ».
Et j’aurais aimé que vous soyez avec moi dans le panier à salade, Beatrice Ask. Mais vous ne l’étiez pas. J’étais assise là, seul. J’ai croisé le regard de tous les passants et j’ai essayé de leur faire comprendre que je n’étais pas coupable, que je m’étais simplement tenu à un endroit et que j’avais eu un certaine apparence. Mais il est difficile de plaider son innocence à l’arrière d’un car de police.
Et il est impossible de faire partie de la communauté lorsque le pouvoir présume constamment que l’on est un Autre.
Au bout de vingt minutes, on nous a laissé sortir du car de police, sans excuses ni explications. Au lieu de ça, on nous a dit : « Tu peux y aller maintenant ». Notre corps chargé d’adrénaline a quitté les lieux et notre cerveau s’est dit : « Je devrais écrire là-dessus ». Mais nos doigts savaient que cela n’arriverait pas. Parce que nos expériences, Beatrice Ask, ne sont rien comparées à ce qui arrive aux autres, notre corps a grandi intra muros, notre maman est suédoise, notre réalité est celle d’un cocon confortable comparée à ce qui arrive aux personnes vraiment sans pouvoir, sans ressources et sans papiers. Nous ne sommes pas menacés d’expulsion. Nous ne risquons pas d’être emprisonnés si nous revenons.
Sachant que d’autres vivent une situation bien pire, nous avons préféré le silence aux mots. Les années ont passé et, bien plus tard, Reva, le “programme d’application de la loi efficace et juridiquement sûr”, a été lancé. Des policiers ont commencé à fouiller les centres commerciaux et à se tenir devant les cliniques qui aidaient les sans-papiers, des familles avec des enfants nés en Suède ont été expulsées vers des pays que les enfants n’avaient jamais visités, des citoyens suédois ont été contraints de prouver leur appartenance avec leur passeport et une certaine ministre de la justice a expliqué qu’il ne s’agissait pas de profilage racial, mais d’“ expériences personnelles”. La routine du pouvoir. La pratique de la violence. Tout le monde ne faisait que son boulot. Les vigiles, les policiers, les douaniers, les politiciens, les gens.
Et là, vous m’interrompez et vous dites : « Mais c’est si difficile à comprendre ? Tout le monde doit obéir à la loi ». Et nous répondons : « Et si la loi est illégale ? »
Et vous dites : c’est une question de priorités et nous ne disposons pas de ressources infinies. Et nous répondons : « Comment se fait-il qu’il y ait toujours de l’argent quand il s’agit de persécuter les gueux, mais jamais d’argent quand il s’agit de les défendre ? »
Et vous dites : Mais comment combiner un large filet de sécurité sociale tout en accueillant tout le monde ? Et nous nous frottons les pieds sur le sol en nous raclant la gorge, parce qu’à vrai dire, nous n’avons pas de réponse parfaite à cette question. Mais nous savons qu’une personne ne peut jamais être illégale et qu’il faut faire quelque chose quand les uniformes répandent l’insécurité et que la loi se retourne contre sa propre population et vous voilà, Beatrice Ask, vous essayez de quitter notre corps, vous pensez, tout comme les lecteurs, que ça dure depuis trop longtemps, que ça n’est que de la répétition, que ça n’aboutit à rien, et vous avez raison, il n’y aura jamais de fin, il n’y a pas de solution, pas d’issue de secours, tout se répète, parce que les structures ne disparaîtront pas simplement parce que nous voterons la disparition de Reva, Reva est une extension logique de l’oppression constante de faible intensité, Reva vit dans notre incapacité à reformuler notre image nationale rigide et ce soir, dans la file d’attente d’un pub près de chez vous, les personnes non blanches s’écartent systématiquement pour ne pas être arrêtées par le portier et demain, dans la file d’attente pour un logement, ceux qui portent un nom étranger utilisent le nom de famille de leur partenaire pour ne pas être éliminés et tout à l’heure, dans une demande d’emploi, une Suédoise tout à fait ordinaire a écrit «NÉE ET ÉLEVÉE EN SUÈDE » en lettres capitales, juste parce qu’elle sait ce qui va se passer sinon. Tout le monde sait ce qui se va se passer sinon. Mais personne ne fait rien. Au lieu de cela, nous nous concentrons sur la localisation des personnes qui ont fui ici à la recherche de la sécurité que nous sommes si fiers d’offrir à (certains de) nos citoyens. Et j’écris « nous », parce que nous faisons partie de ce tout, de ce corps social, de ce « nous ».
Vous pouvez y aller maintenant.
En décembre 2008, la fermeture d’un centre islamique abritant une mosquée dans le ghetto de Rosengård à Malmö et l'intervention de la police pour déloger les jeunes occupant le local déclenchent les premières émeutes urbaines du siècle en Suède, rappelant celles de 2005 en France. Un policier ayant qualifié les jeunes émeutiers de “putains de singes” (apejävlar), des manifestants brandirent quelque temps plus tard cette banderole disant : “Merci pour la dernière fois [formule rituelle pour remercier quelqu’un d’une invitation], putains de porcs” [tout suédophone voyant la parole “grisajävlar” pense immédiatement à la rime enfantine née vers 1900, « Polis, polis, potatisgris” [Police, police, cochons a patates”] [NdT]
Nous n’avons pas besoin d’un Reva 2.0
Valdemar Möller, Syre, 8/8/2023
Cela fait dix ans que le projet Reva n’a plus fait l’objet d’une attention particulière de la part des médias. Pourtant, ce projet - qui signifie Rättssäkert och effektivt verkställighetsarbete [“programme d’application de la loi efficace et juridiquement sûr”] et qui est le fruit d’une collaboration entre la police, l’Agence suédoise des migrations et le Service des prisons - a débuté dès 2009 et s’est poursuivi jusqu’en 2014. L’objectif de l’ensemble du projet était d’expulser davantage de personnes qui n’avaient pas l’autorisation de rester en Suède. Dans le même temps, la police a commencé à effectuer de plus en plus de contrôles d’identité en ville, et de nombreuses personnes ont estimé qu’elle utilisait le profilage racial pour sélectionner les personnes à contrôler.
À l’époque, en 2013, le climat social était différent. Bien que les Démocrates de Suède [SD] eussent fait leur entrée au Riksdag [parlement], l’opinion publique était fortement favorable à l’augmentation de l’accueil des réfugiés. L’année précédente, le Parti du centre avait produit un nouveau programme d’idées proposant que la Suède finisse par avoir une immigration libre, et l’année suivante, Fredrik Reinfeldt devait prononcer un discours très médiatisé dans lequel il appelait les Suédois à « ouvrir leurs cœurs ». La critique de REVA, si je me souviens bien, ne portait pas seulement sur le profilage racial par la police (ce qui était déjà assez grave), mais aussi sur la chasse aux sans-papiers.
Aujourd’hui, comme nous le savons, nous avons un gouvernement qui s’appuie sur le soutien des SD et dont l’objectif global semble être de permettre au moins de personnes possible d’entrer en Suède. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement propose aujourd’hui d’augmenter à nouveau le nombre de « contrôles aux frontières intérieures » et qu’il ait également donné à la police des pouvoirs accrus pour procéder à des fouilles corporelles. Il n’est pas non plus surprenant qu’Alice Teodorescu Måwe soit en faveur d’un « Reva 2.0 ».
Dans le même éditorial, elle affirme que le profilage racial n’a rien à voir avec le projet Reva lui-même. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il est vrai que Reva consistait essentiellement à ce que les différentes autorités revoient leur travail en matière d’administration, de documentation, etc. afin de devenir « plus efficaces ». La possibilité d’effectuer des contrôles à l’intérieur des frontières existait également depuis l’adhésion de la Suède à l’espace Schengen, mais n’avait pas été utilisée dans une large mesure. Toutefois, grâce au programme Reva, la police des frontières a réussi à libérer des ressources et à gagner du temps pour effectuer des contrôles d’identité. Ces contrôles ont également permis d’arrêter et d’expulser un plus grand nombre de sans-papiers.
Jusqu’à présent, le gouvernement ne souhaite intensifier que les contrôles aux « frontières intérieures », mais ce n’est probablement qu’une question de temps avant que la police ne soit à nouveau chargée d’effectuer davantage de contrôles d’identité en ville (dans le cadre de l’accord de Tidö , il y a également un nouveau recensement, qui pourrait également être un instrument permettant d’appréhender davantage de sans-papiers). Cette fois, le prétexte est la menace accrue pour la sécurité de la Suède. Il est vrai que les autodafés de corans ont fait voir rouge la Suède dans de nombreux pays musulmans, ce qui pourrait augmenter le risque de nouvelles attaques terroristes. Mais il ne faut pas oublier que très peu de personnes sont à la fois désireuses et capables de commettre ce type d’attentat. Cependant, il existe un risque important que de nombreuses personnes qui cherchent simplement à se mettre en sécurité en Suède en pâtissent. En partie sous la forme de fouilles corporelles humiliantes, mais aussi parce qu’un plus grand nombre de personnes pourraient être arrêtées et expulsées pour des motifs arbitraires.
Alice Teodorescu Måwe a toutefois raison lorsqu’elle affirme que les modifications apportées à la loi sur l’ordre public sont également un moyen de restreindre la liberté d’expression. Si les amendements sont faits avec l’ambition déclarée de rejeter des manifestations qui étaient auparavant considérées comme autorisées et sous la pression d’autres pays, cela ne peut être considéré que comme une restriction de la liberté d’expression.
Il est bon que Mme Teodorescu Måwe défende la liberté d’expression, on ne peut que souhaiter qu’elle se préoccupe autant de la protection des droits des migrants.
NdT
1. Beatrice Ask (Sveg, 1956), est membre du Parti du rassemblement modéré (Moderata samlingspartiet), parti traditionnel de la droite suédoise, membre du Parti populaire européen, communément appelé Les Modérés (Moderaterna). Elle a été ministre des Écoles dans le gouvernement de Carl Bildt de 1991 à 1994, puis ministre de la Justice dans le gouvernement Reinfeldt entre 2006 et 2014.
2. Émission matinale du premier des 4 canaux de la radio suédoise
3. Original suédois : gredelin (rouge lavande), du français gridelin (gris-de-lin)
4. Arlanda : Principal aéroport de Stockholm
5. Mega Skivakademin, puis Megastore : Principal magasin de musique du centre-ville de Stockholm, aujourd’hui disparu
6. Accord de Tidö : accord de constitution d’un bloc gouvernemental entre les modérés, les libéraux, les chrétiens-démocrates et les démocrates de Suède, conclu en octobre 2022.